Le mercredi 4 octobre 1820 est entré dans l’histoire pour être la journée de la dernière chevauchée de Napoléon.
Parti en direction de Sandy Bay, l’Empereur se sentant observé à la jumelle, il se décida de franchir le poste de Hutt’s Gate, suivi de Bertrand et de Montholon. Il prit la route taillée dans le roc qui mène, par de nombreux lacets, vers le décor verdoyant de Fairy Land, « le pays des fées », sur lequel règne Sir William Doveton. Des fougères géantes tapissent les flancs du pic de Diane, les arbres à choux bordent le chemin, égayé par les tons rouges et jaunes des cannas et des gingembres. A Rock Rose, s’étale soudain le paysage romantique des camélias blancs et roses se découpant sur le bleu de l’Océan.
Parvenu à la barrière de Mount Pleasant, Montholon s’en fut informer Sir William de l’arrivée de l’Empereur et solliciter l’autorisation de traverser ses champs. On l’attendait avec curiosité. « À l’aide de ma lorgnette, écrivit Doveton à Lowe, j’avais vu qu’il s’agissait des prisonniers d’État de Longwood et j’étais rentré pour informer ma fille, Mrs Greentree, qui s’occupait des enfants, que nous allions avoir la visite de Bonaparte. »
Les cavaliers mettaient bientôt pied à terre et Napoléon, pénétrant dans le salon, prenait place sur un divan et invitait Mrs. Greentree à s’asseoir à ses côtés, pour la complimenter sur la mine de ses enfants et la taquiner sur l’intempérance de son mari. Le déjeuner fut servi sur la pelouse, sous les chênes et dans le décor grandiose de Sandy Bay : à gauche la barrière des pics, au centre les cheminées des volcans, à droite l’océan sans fin et, ici et là, les touches éclatantes des fleurs tropicales. Les domestiques de l’Empereur servirent du champagne et Sir William offrit une liqueur faite à la maison, sorte de tord-boyaux de fruits fermentés… Le menu parut fastueux aux insulaires, mais pas du tout dans le goût anglais, « du pâté, du ragoût, de la viande froide, du jambon, de la salade et des fruits ». Napoléon frappa le chef de la Milice (Doveton avait conservé ce haut «grade ») par son embonpoint : il était « aussi gras et aussi rond qu’un cochon de la Chine »… Cette comparaison, pensa l’imbécile, serait bien faite pour amuser Sir Hudson.
La conversation avait égayé Napoléon mais ce fut à grand-peine qu’il enfourcha sa monture après avoir pris congé de ses hôtes. À Hutt’s Gate, il s’installa dans sa calèche et se laissa conduire, sans mot dire, jusqu’au perron de Longwood. Épuisé et se plaignant de maux de tête, il se mit au lit.
Ce sera la dernière promenade de Napoléon à cheval.
Photographie : Vue de Sandy Bay depuis la route qu’emprunta Napoléon avec « Mount Pleasant » au milieu de ce paysage volcanique.
#2021AnnéeNapoléon