Les témoins
de
l’exil

Général Bertrand

Acteur le plus attachant du drame final, le général comte Henri-Gatien Bertrand (1773-1844) s’était illustré à de nombreuses reprises pendant les campagnes napoléoniennes comme commandant du génie de l’armée puis comme gouverneur général des provinces Illyriennes (aujourd’hui la Croatie et la Bosnie-Herzégovine). Il avait succédé à Duroc (tué au combat en 1813) dans les fonctions de grand maréchal du Palais. Dans l’épreuve de l’exil, le militaire l’emporte sur le courtisan. Éperdument épris de sa femme, fortement attaché à ses enfants, il tient à éviter les épreuves de la promiscuité et préféra résider d’abord à Hutt’s Gate puis dans une maison plus proche de Longwood mais toujours indépendante. Le 6 mai 1821, le général Bertrand, grand-officier de la Couronne, informa le cardinal Fesch du décès de Napoléon: « Je remplis un triste devoir en vous annonçant que l’empereur Napoléon a rendu son dernier soupir hier à cinq heures quarante-neuf minutes de l’après-midi. II parait qu’il est mort de la même maladie que son père, d’un squirre au pylore. Dans les derniers temps de sa douloureuse maladie, il en avait soupçonné la cause. ».

Le Général H. G. Bertrand, Estampe

« Plus on est grand et moins on doit avoir de volonté ; l’on dépend des événements et des circonstances. »
Napoléon

Las Cases

La suite de l’empereur comprenait aussi un «secrétaire d’État», le comte de Las Cases. L’ancien chambellan, futur auteur du fameux Mémorial de Sainte-Hélène, se tenait en réalité à l’écart des «détails domestiques ». Il n’était probablement venu que pour recueillir les propos de l’empereur, ce qu’il fit jusqu’à son arrestation le 25 novembre 1816 à l’issue de laquelle il fut expulsé de l’île. À son retour en Europe, il publia le Mémorial de Sainte-Hélène qui retrace ses conversations avec Napoléon et raconte les premières années de son exil. Ce livre fut un des grands succès littéraires du XIXe siècle. À Sainte-Hélène, Las Cases était accompagné par son fils. Ce dernier revint à Sainte-Hélène en 1840 avec la délégation française conduite par le prince de Joinville (fils du roi Louis-Philippe) pour ramener en France les restes de l’Empereur.

Comte de Las Cases et son fils, estampe

Général Comte Charles-Tristan de Montholon

Intriguant et sachant jouer de ses relations nobiliaires, il devint chambellan de l’impératrice en en 1810 et aide-de-camp de l’Empereur. Il l’accompagna à Sainte-Hélène en compagnie de sa femme Albine et de leur fille. Une deuxième fille naîtra sur l’île, ce qui fera dire qu’elle était « la seule française arrivée à Sainte-Hélène sans l’autorisation du gouverneur ». À Longwood, le «maître du palais» – comme l’appelaient les Français – ou le « lord chambellan» – comme disaient ironiquement les Anglais supervisait la bonne marche de la Maison. Il dirigeait le personnel, s’occupait des approvisionnements et de l’organisation générale. Pour son testament, Napoléon n’oublia aucun de ses compagnons de captivité, mais la répartition favorisa Montholon qui reçut 2,25 millions de francs (soit l’équivalent en 2015 d’environ 5,6 millions d’euros).

Comte Charles-Tristant de Montholon, estampe

Gourgaud

Toute sa vie, il servit Napoléon dont il fut le Premier officier d’ordonnance. Il fut présent à la plupart des grandes batailles de l’Empire. Il choisit pourtant de rentrer en Europe, en février 1818. Lui aussi sera du voyage de 1840. L’Empereur avait également choisi le Général Gourgaud pour dicter ses mémoires.

Portrait du Duc De Reichstadt, offert à Napoléon par les compagnons de son exil. Dans le salon de Longwood, le général Gourgaud, le général Bertrand, la femme de ce dernier et ses enfants, entourent Napoléon assis, qui regarde un grand portrait de son fils. Estampe de Nicolas-Eustache Maurin

Sir Hudson Lowe

Accablé par ses responsabilités de gardien du Prisonnier de l’Europe et se sentant en permanence obligé de justifier à Londres la moindre de ses décisions, Sir Hudson Lowe s’affranchit de sa mission de gouverneur de Sainte-Hélène avec une méticulosité et une rigueur bureaucratique qui ne put être ressentie par ses prisonniers que comme vexatoire.

Napoléon dans son cabinet avec Hudson Lowe, estampe

Amiral Sir George Cockburn

Fils cadet d’une grande famille, mousse quand il était bambin et lieutenant à vingt et un ans, Sir George Cockbum (1772-1853) fut contre-amiral à la quarantaine. Ayant combattu sous Nelson et fait figure de héros national pendant la guerre d’Indépendance pour avoir incendié Washington, sa réputation est celle d’un homme aux manières directes, parfois brutales, au verbe tranchant, ce qui lui a valu le périlleux honneur de servir de geôlier temporaire de Napoléon. Il arriva à Sainte-Hélène le 15 octobre 1815. Il assura le commandement de l’île jusqu’à l’arrivée de Sir Hudson Lowe le 14 avril 1816 et quitta l’île le 19 juin 1816. Napoléon dira de lui : « Je ne puis pas lui refuser mon estime ; sous son uniforme bat un cœur de soldat. ». Au retour de Sainte-Hélène, il ira commander aux Antilles puis sera élu au Parlement et finira Premier Lord de l’Amirauté.

Amiral Sir George Cockburn, huile de Jérôme Ambrosini

« Il n’y a que deux puissances au monde, le sabre et l’esprit : à la longue, le sabre est toujours vaincu par l’esprit. »
Napoléon

 Marchand

Louis Joseph-Narcisse Marchand naquit à Paris le 28 mars 1791. Il fut le premier valet de l’Empereur et un de ses exécuteurs. Il réalisa de nombreuses illustrations dont un dessin de la mort de Napoléon. Le fidèle domestique se représenta seul, pleurant son maître dans ce salon qu’il connaissait si bien. C’était grâce à l’appui de sa mère que Louis Marchand était entré en 1811 dans la Maison impériale en qualité de garçon d’appartement et qu’il obtint de l’Empereur, en 1812, les 4300 francs nécessaires pour acheter un remplaçant au service militaire. C’est à lui que Napoléon dicta le « Précis des guerres de Jules César ». Dans la préface, il parle des derniers moments de l’Empereur, tels qu’on les retrouve dans ses « Mémoires ». Conformément au vœu de Napoléon qui désirait qu’il épousât la fille d’un vieux soldat, le 15 novembre 1823, il se maria avec Mlle Mathilde Brayer, fille du général. De cette union naquit une fille, Malvina, qui épousa un dénommé Desmazières, auditeur au Conseil d’État. Leur fils sera le dernier héritier de Marchand car il mourut sans postérité. À Paris, Marchand avait son domicile 5 place du Palais-Bourbon mais le 19 juin 1876, il mourut dans sa maison de Trouville, rue de la Cavée à l’âge de 85 ans.

Le comte Marchand, premier valet de chambre de Napoléon Ier de 1814 à 1821, huile de Mauzaisse Jean-Baptiste

Saint-Denis dit Ali

Le père de Saint-Denis avait été employé à Versailles, aux écuries de Louis XVI où il était laquais. Il eut la bonne fortune d’être accepté par le grand Écuyer, Caulaincourt, dans les écuries impériales en qualité de piqueur et de faire également engager son fils. Lorsque Napoléon souhaita adjoindre un second Mameluck au fameux Roustan et, sur la désignation du grand Écuyer, son choix se porta sur Saint-Denis. Dès lors, St. Denis dut changer son nom en « Ali », s’affubler du costume éclatant de sa fonction. À Longwood, en costume vert et or, il « piqua » en tête de l’attelage de six chevaux. Sa belle écriture et son brin d’instruction le désignèrent pour l’emploi de copiste et de bibliothécaire. Son travail n’était pas une sinécure car l’Empereur demandait toujours un nombre considérable d’ouvrages et tout ce qui lui était utile devait être conservé soigneusement. Gourgaud demandait des ouvrages d’histoire militaire, Bertrand des romans pour sa femme; Madame de Montholon était bien connue pour ne pas rendre ses prêts. Ali épousa le 14 octobre 1819 une miss Mary Hall,  gouvernante des enfants Bertrand. Le couple eut une fille dont Napoléon fut le parrain – qui fit don d’une chaîne d’or à l’enfant le jour du baptême. Ali figure dans le Testament pour un legs de 135.000 francs. Il était chargé de garder 400 volumes de la bibliothèque pour les remettre au fils de l’Empereur « quand il aurait seize ans ». Ils ne purent être remis. Ceux qu’Ali conserva – après en avoir donné aux membres de la famille impériale – furent légués à sa succession où il mourut le 3 mai 1856 à l’âge de 68 ans.

Ali dans « La mort de Napoléon », peinture de Charles Steuben